Le Narval : Mystère de l'océan Arctique

 

Le narval, également connu sous le nom de « licorne des mers » en raison de sa longue dent spiralée caractéristique, est un cétacé arctique fascinant. Parmi toutes les grandes baleines de la planète, le narval est l'espèce la plus insolite et la moins étudiée et certainement la plus menacée par le réchauffement climatique. Cette créature emblématique est présente dans les eaux froides de l'océan Arctique, notamment autour du Groenland, de l'Islande, de la Russie et du Canada.

Apparence et caractéristiques du narval

Le narval (Monodon monoceros) est aisément identifiable grâce à sa corne longue et torsadée, connue sous le nom de « défense ». Cette protubérance est en réalité la canine gauche du maxillaire. La défense continue de croître tout au long de la vie de l'animal, atteignant en moyenne de 1,5 à 2,5 mètres de long, et parfois même jusqu'à 3 mètres chez les mâles. À l'intérieur, la canine du narval est creuse et peut peser jusqu'à 7,45 kg. Il est à noter que certains mâles peuvent posséder deux défenses, lorsque la canine droite dépasse également de la lèvre. Chez les femelles, cette dent reste souvent rudimentaire ou ne se développe pas du tout.

Seul le mâle narval développe cette excroissance tordue, qui se forme à l’origine à partir d’une dent

Couple de narvals jouant dans l'océan. | © dottedhippo

Le rôle de la défense du narval est sujet à débat. Des chercheurs en médecine dentaire de l'Université Harvard avancent que la dent du narval pourrait fonctionner comme un organe sensoriel hautement sensible. Celle-ci est parsemée de millions de tubules contenant un fluide et des terminaisons nerveuses, permettant au narval de détecter des particules spécifiques dans son environnement. Elle serait également sensible aux variations de pression, de température et de salinité de l'eau, des facteurs cruciaux dans la formation de la glace qui influence la migration du narval. La forme torsadée de la dent accroît sa sensibilité en augmentant sa surface et le nombre de terminaisons nerveuses. De plus, sa structure spiralée favorise une croissance rectiligne, réduisant la résistance dans l'eau.

Des observations réalisées en 2016 dans la baie Tremblay, au Nunavut, ont révélé que les narvals utilisent leurs défenses pour étourdir les petites morues arctiques, facilitant ainsi leur capture pour se nourrir sourceLaidre, Kristin L et al., “Use of glacial fronts by narwhals (Monodon monoceros) in West Greenland”, Biology letters, vol. 12,10, 2016.. Par ailleurs, les femelles, qui ne possèdent généralement pas de défenses, ont une espérance de vie plus longue que les mâles, ce qui remet en question l'importance vitale de cet organe pour la survie de l'animal. Bien que ces études apportent des éclairages intéressants, aucune théorie ne fait entièrement consensus dans la communauté scientifique. Cependant, il est largement admis que la fonction principale de la dent du narval est liée à la sélection sexuelle.

Seul le mâle narval développe cette excroissance spiralée, qui se forme à l’origine à partir d’une dent

Seul le mâle narval développe cette excroissance spiralée, qui se forme à l’origine à partir d’une dent. Pendant des siècles, ces défenses, pouvant mesurer plusieurs mètres de long, étaient attribuées à la créature mythique de la licorne. | © DR.

Outre leur dent caractéristique, les narvals présentent une morphologie typique des cétacés. Ils possèdent une petite tête arrondie avec une petite bouche ronde et de petites nageoires retroussées vers le haut. Comme d'autres baleines arctiques, ils ne possèdent pas de nageoires dorsales et ont une épaisse couche de graisse vascularisée pour les isoler du froid. Les mâles peuvent peser jusqu'à 1 600 kg pour 5 mètres de long, tandis que les femelles sont plus petites, pesant jusqu'à 1 000 kg pour 4 mètres de long. La couleur du narval évolue avec l'âge : bleu gris ou brun à la naissance, il devient bleu noir à l'âge juvénile et noir à l'âge adulte. En vieillissant, sa peau se couvre de taches blanches, jusqu'à devenir presque entièrement blanche.

Habitat, comportement, alimentation et modes de communication du narval

Les narvals affectionnent les eaux froides et profondes de l'océan Arctique, où ils se déplacent en groupes sociaux appelés « bandes ». Ces dernières, composées principalement de femelles et de jeunes, peuvent compter jusqu'à 20 individus et migrent en permanence selon les saisons, pour anticiper la formation des glaces et suivre les bancs de poissons qui constituent leur alimentation principale. Pendant leurs migrations, les groupes peuvent fusionner, formant d'impressionnants rassemblements. Les mâles plus âgés ont tendance à être solitaires, se regroupant uniquement pendant la période de reproduction. Les narvals sont bien adaptés à leur environnement arctique, capables de plonger jusqu'à 1 500 mètres de profondeur pendant plus d'une heure à la fois.

Leurs plongées sont souvent liées à la recherche de nourriture, principalement des poissons tels que le flétan, la morue et le capelan, ainsi que des céphalopodes. Comparés à d'autres mammifères marins, les narvals ont un régime alimentaire relativement spécialisé et limité. Ils consomment beaucoup plus de nourriture pendant les mois d'hiver que pendant les mois d'été. En raison de l'absence de dentition bien développée, il est supposé que les narvals se nourrissent en nageant près de leurs proies avant de les aspirer dans leur bouche.

Les groupes de narvals, principalement composés de femelles et de jeunes, peuvent compter jusqu'à 20 individus

Les groupes de narvals, principalement composés de femelles et de jeunes, peuvent compter jusqu'à 20 individus et migrent en permanence selon les saisons. | © Wikimedia Commons.

Comme la plupart des cétacés à dents, les narvals utilisent le son pour naviguer et chasser leur nourriture. Ils produisent une grande variété de sons, y compris des chants, des bruits et des grognements. Certains de ces sons, rappelant ceux d'un oiseau, ont valu au narval le surnom de « canari des mers ». Les sons sont réfléchis sur l'avant incliné du crâne et focalisés par le melon de l'animal noteLe melon est un organe ovale de tissu gras occupant la majeure partie de la tête chez les Delphinidae., qui peut être contrôlé par la musculature environnante. Les clics d'écholocation sont utilisés pour détecter les proies et localiser les obstacles à de courtes distances. Les sifflets et les pulsations sont principalement utilisés pour la communication au sein du groupe. Les narvals peuvent ajuster la durée et la hauteur de leurs cris pulsés pour maximiser la propagation du son dans différents environnements acoustiques. Le répertoire vocal du narval est similaire à celui du béluga, son parent proche, mais avec des caractéristiques spécifiques.

Reproduction, cycle de vie et conservation du narval

Les femelles narvals commencent à se reproduire entre six et huit ans. La saison de reproduction des narvals se déroule généralement de mars à mai, période pendant laquelle les mâles rivalisent pour attirer l'attention des femelles. Les combats entre mâles peuvent être assez intenses, soulignant l'importance de la dent de narval comme attribut de séduction et de compétition. La gestation dure environ 14 mois et, comme pour la plupart des mammifères marins, un seul petit naît entre juillet et août. Les petits narvals, appelés « veaux », restent étroitement liés à leur mère pendant les premiers mois de leur vie, apprenant les compétences essentielles à leur survie dans les eaux arctiques. À la naissance, les veaux mesurent en moyenne 1,5 mètre de long et sont de couleur blanche ou gris clair. L'intervalle entre les naissances est généralement compris entre deux et trois ans.

Les nouveau-nés narvals commencent leur vie avec une fine couche de graisse qui s'épaissit progressivement à mesure qu'ils se nourrissent du lait maternel, riche en graisses. Ils dépendent du lait maternel pendant environ 20 mois, une période de lactation prolongée qui leur permet d'acquérir les compétences essentielles à leur survie. Les veaux restent généralement à proximité de leur mère, à moins de deux longueurs de corps. Bien que la longévité des narvals puisse atteindre environ 50 ans, la plupart des individus ne dépassent probablement pas les 30 ans.

Un ours polaire récupérant une carcasse de narval

Un ours polaire récupérant une carcasse de narval. | © Jeff W. Higdon/DFO

Les narvals sont confrontés à divers prédateurs (orque, ours polaire), dont l'Homme, qui les chasse pour leur chair, leur ivoire, et d'autres parties de leur corps. Environ 1 000 narvals sont abattus chaque année, principalement au Canada et au Groenland, pour diverses raisons commerciales : peau, viande, dents, défenses et vertèbres sculptées. Bien que leur statut ne soit pas critique, le changement climatique représente une menace croissante pour leur survie.

En effet, particulièrement vulnérables aux modifications de la couverture de glace de mer dans leur habitat arctique, les narvals voient leurs zones de chasse et d'hivernage altérées par le réchauffement climatique. De plus, ces cétacés ont des aires d'alimentation qui reflètent les modèles acquis tôt dans leur vie, favorisant une forte fidélité à leurs sites de migration malgré les changements environnementaux. Malgré ces défis, des mesures de conservation sont mises en place dans plusieurs pays pour protéger ces créatures emblématiques et leur habitat fragile contre les menaces potentielles.

Croyances populaires liées au narval

La légende de la licorne, remontant à la Grèce antique, a longtemps été associée à la croyance en la corne de rhinocéros. Mais, malheureusement pour le narval, suite à la découverte de sa longue défense spiralée, ce cétacé a joué un rôle central dans la croyance en la licorne. L'origine du commerce des défenses de narval remonte à environ l'an 1000. Les Vikings sont supposés avoir été parmi les premiers à collecter ces défenses ou à les utiliser pour fabriquer des armes, bien que d'autres théories suggèrent que les Normands les ont obtenues auprès des Inuits. Le commerce s'est même répandu au Moyen-Orient et en Asie de l'Est. Ainsi, la dent unique de ce mammifère marin est vendue durant plusieurs siècles comme « corne de licorne » en Europe, de la fin du Moyen Âge jusqu'à la Renaissance, fournissant une preuve matérielle de l'existence de l'animal légendaire. La première mention d'un narval cornu apparait en 1607 dans l'Atlas Minor sourceGérard Mercator, Atlas Minor [traduction française par M. de la Popelinière], Amsterdam, 1607.. Une autre description détaillée du narval paraît en 1678 sourceThomae Bartholini, De Unicornu Observationes Novæ [« De nouvelles observations de licornes »], Padoue, 1678., mais sans faire le moindre lien entre la « licorne de mer » et la licorne terrestre.

Le calao rhinocéros est l'oiseau national de la Malaisie

Licorne, narval et « licorne fossile » comparés dans le Museum Museorum, en 1704. | © Michele Bernardo Valentini

Le commerce s'intensifie encore au XVIe siècle en l'Europe où les défenses de narval sont alors des présents d'État prisés, offerts aux souverains pour leurs prétendus pouvoirs de licorne. Ces précieuses cornes étaient réputées valoir plusieurs fois leur poids en or. Des personnalités historiques telles qu'Ivan le Terrible ou Elizabeth Ire possédaient des défenses de narval, certaines étant richement ornées de bijoux. Utilisées comme remèdes et détecteurs de poison, les défenses étaient également exposées dans des cabinets de curiosités. Cependant, avec l'avènement de la science à la fin du XVIIe siècle, et surtout après la découverte avérée du narval, la valeur des « cornes de licorne » s'est effondrée, mettant fin à leur commerce. Néanmoins, la croyance en l'existence de la licorne a perduré, même chez certains érudits, jusqu'au milieu du XIXe siècle.

Le narval reste l'un des cétacés les plus énigmatiques et mystérieux de l'océan Arctique. Sa dent caractéristique et son comportement unique en font une espèce fascinante à étudier et à protéger pour les générations futures. En tant que symbole de la beauté et de la fragilité des écosystèmes arctiques, le narval nous rappelle l'importance de préserver ces environnements uniques et de lutter contre les menaces qui pèsent sur leur survie. En investissant dans la recherche scientifique, la conservation des habitats et la sensibilisation du public, nous pouvons contribuer à assurer un avenir durable pour cette espèce emblématique et les écosystèmes dont elle dépend.

Ressources bibliographiques :

  • W. Robertson and G. Aitchison, "The Use of the Unicorn's Horn, Coral and Stones in Medicine", Annals of Medical History, vol. 8, N°3, 1926, pp. 240–248.
  • John Ford and Deborah Ford, "Narwhal: Unicorn of the Arctic Seas", National Geographic, vol. 169, N°3, March 1986.
  • Janet Halfmann (Auteur), Steven James Petruccio (Illustrations), Narwhal: Unicorn of the Se, Soundprints, 2009.
  • Martin T. Nweeia, Frederick C. Eichmiller, Peter V. Hauschka, Ethan Tyler, James G. Mead, Charles W. Potter, David P. Angnatsiak, Pierre R. Richard, Jack R. Orr et Sandie R. Black, "Vestigial tooth anatomy and tusk nomenclature for Monodon monoceros", The Anatomical Record, vol. 295, N°6, 2012, p. 1006–1016.
  • Clint Marsh and Varla Ventura, Unicornicopia. Magical Creatures, Weiser Books, 2012.
  • Todd McLeish, Narwhals: Arctic Whales in a Melting World, University of Washington Press, 2013.
  • Jaques Prescott et Pierre Richard, Mammifères du Québec et de l'est du Canada, Michel Quintin, 2013.