Gravure représentant les femmes marchant sur Versailles, le 5 octobre 1789 Allégorie du peuple sous les traits d'une femme une torche et une epee a la main, coiffée d'un bonnet phrygien, devant la Bastille assiégée. | © Leemage

Les femmes de la Révolution française : leur influence méconnue en lumière

 

La Révolution française est généralement présentée comme un mouvement dominé par des hommes, où les femmes étaient reléguées à un rôle passif et/ou secondaire. Pourtant, dans l'ombre des barricades et des assemblées politiques, les femmes de la Révolution ont insufflé une énergie nouvelle, défiant les normes de genre de l'époque. Une analyse plus approfondie révèle effectivement que les femmes ont eu un impact crucial, mais méconnu ou minimisé, dans les événements révolutionnaires, façonnant l'histoire en ces temps tumultueux.

Situation sociale des femmes aux prémices de la Révolution française

Sous l'Ancien Régime, la société française se divise en trois ordres, faisant qu'un individu appartient soit à la noblesse, au clergé ou au tiers-État. Cette structuration sociétale considère ainsi qu'une femme noble ou religieuse est supérieure aux femmes comme aux hommes du tiers-état. Démographiquement, les femmes du tiers état représentent 98 % de la population féminine. Elles sont de conditions et de situation financières très diverses, même si le travail demeure la norme. La bourgeoisie la plus aisée est quant à elle sensible aux idées nouvelles/progressistes et se rapproche sur ce point des femmes nobles pouvant être qualifiée de « libérales ».

Cependant, dans une société française alors fortement patriarcale, les hommes sont considérés comme les chefs de famille et les dirigeants naturels, tandis que les femmes sont reléguées à des rôles domestiques et subordonnées. En outre, les femmes mariées sont légalement sous l'autorité de leur mari et n'avaient pas le droit de voter. En termes d'engagement dans la sphère publique, les femmes sont souvent découragées, voire empêchées, de s'engager dans des activités politiques, car cela était considéré comme contraire à leur nature intrinsèque.

Estampe anonyme datant de 1789 représentant une femme du tiers-état portant la charge du clergé et de la noblesse

Estampe anonyme datant de 1789 représentant une femme du tiers-état portant la charge du clergé et de la noblesse. | © Domaine public

En effet, les philosophies et les discours sur la nature des femmes, basés sur des stéréotypes et des généralisations, contribuent grandement à la marginalisation des femmes davantage dans la sphère politique. Par exemple dans L'Émile ou de l'éducation (1762), Jean-Jacques Rousseau discute de l'éducation des femmes et avance des idées influencées par des préjugés de son époque. D'autres ouvrages reflètent les idées prévalentes sur les femmes durant la Révolution française : Lettres sur l'éducation des filles (1772) de Jean-Baptiste-Antoine Suard qui met en avant des stéréotypes sur les aptitudes et les limitations des femmes ; Essai sur l'origine des connaissances humaines (1746) d'Etienne Bonnot de Condillac (1746) aborde la question de la nature humaine et discute des différences entre les hommes et les femmes.

Ces facteurs combinés conduisent logiquement à une exclusion systématique des femmes de la sphère politique, car perçues comme émotionnellement instables, irrationnelles ou incapables de prendre des décisions rationnelles. De ce fait, les femmes de l'Ancien Régime restent essentiellement à l'écart des questions politiques et sociales.

Engagement politique et social des femmes pendant la Révolution française

Dès les prémices de la Révolution, les femmes se sont impliquées activement dans les clubs politiques et les sociétés révolutionnaires, et ce, malgré les restrictions sociales et légales qui limitaient leur participation politique. L'une des organisations les plus célèbres est le Club des Cordeliers, une société politique fondée le 27 avril 1790, où les femmes sont autorisées à assister aux débats et à participer aux discussions politiques. Mais, leurs tâches sont souvent limitées à des fonctions de soutien logistique, telles que la distribution de tracts et la préparation des repas, plutôt qu'à des prises de décision formelles.

La société des Amis de la Constitution, plus connue ensuite sous le nom de Club des jacobins, est un autre lieu important de débat politique pendant la Révolution. Cette société de pensée constitue tant un groupe de pression qu'un réseau remarquablement efficace. Si l'action de ses membres est déterminante dès 1790, la chute de Robespierre (6 mai 1758 - 28 juillet 1794) marque la fin du rôle politique exercé par le Club des jacobins et entraîne sa dissolution en novembre 1794. Durant son existence, ce club aux idées révolutionnaires a toutefois été restrictif envers les femmes. Bien qu'elles aient été autorisées à assister à certaines réunions en tant qu'invitées, leur participation active était généralement découragée.

Olympe de Gouges est considérée comme l'une des pionnières françaises du féminisme

Olympe de Gouges est considérée comme l'une des pionnières françaises du féminisme. | © Domaine public

Néanmoins, des femmes influentes telles que Marie Gouze, dite Olympe de Gouges (7 mai 1748 - 3 novembre 1793), parviennent à faire entendre leur voix au sein de ces clubs, en rédigeant des textes politiques et en militant pour l'égalité des droits. Considérée comme l'une des pionnières françaises du féminisme, Marie Gouze est rédactrice en 1791 de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. En outre, elle laisse de nombreux écrits et pamphlets en faveur des droits civils et politiques des femmes et de l'abolition de l'esclavage des Noirs.

  • Ces femmes ayant joué un rôle significatif pendant la Révolution française :
  • Olympe de Gouges (1748-1793) : Rédactrice en 1791 de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, elle soutient la cause de toutes les catégories opprimées et demande la légalisation du divorce ;
  • Manon Roland (1754-1793) : Figure influente dans les cercles politiques de la Révolution française, en particulier au sein du parti girondin, elle a exercé une grande influence sur son mari, le ministre de l'Intérieur Jean-Marie Roland ;
  • Théroigne de Méricourt (1762-1817) : Connue pour son engagement révolutionnaire et sa participation active aux événements de l'époque, elle a plaidé pour l'égalité politique des femmes et leur participation à la défense de la patrie ;
  • Pauline Léon (1767-1838) et Claire Lacombe (1765-1826) : Fondatrices de la Société des républicaines révolutionnaires, elles ont milité pour les droits des femmes et ont promu des réformes sociales et politiques ;
  • Etta Palm d'Aelders (1743-1799) : Espionne néerlandaise et fondatrice de la Société patriotique et de bienfaisance des Amies de la Vérité, elle s’est intéressée à l’éducation des petites filles pauvres et a réclamé le droit au divorce ainsi que des droits politiques pour les femmes ;
  • Charlotte Corday (1768-1793) : Connue pour l'assassinat de Jean-Paul Marat, elle a été motivée par ses convictions politiques et son opposition à la radicalisation de la Révolution.

En dehors des clubs politiques formels, les femmes se sont également organisées en sociétés révolutionnaires, telles que la Société des républicaines révolutionnaires qui est fondée en mai 1793, par la chocolatière Pauline Léon et l'actrice Claire Lacombe. Ce groupe, exclusivement féminin et aux revendications sociales et féministes, offre aux femmes un espace pour discuter de leurs préoccupations politiques, telles que l'éducation des enfants et l'accès à l'emploi, et pour promouvoir des réformes sociales et politiques.

Gouache de Jean-Baptiste Lesueur représentant un club féminin sous la Révolution française

Gouache de Jean-Baptiste Lesueur représentant un club féminin sous la Révolution française. | © Domaine public

Seulement voilà, le soutien de la Société des républicaines révolutionnaires à la mouvance révolutionnaire radicale des Enragés noteLes Enragés revendiquaient l'égalité civique et politique mais aussi sociale, préconisant la taxation des denrées, la réquisition des grains et des taxes sur les riches. engendre une hostilité croissante de la part des autres groupes révolutionnaires. Suite à l'emprisonnement du prêtre Jacques Roux, le chef de file des Enragés, des députés de la Convention répandent des rumeurs à l'encontre de Pauline Léon et Claire Lacombe. La campagne de calomnies est si bien orchestrée qu'en 1791, les femmes de la Société fraternelle des patriotes de l'un et l'autre sexe se retournent contre elles, alors même qu'éclate la querelle autour du port de la cocarde par les femmes dans l'espace public. Pour l'anecdote, un décret de la Convention Nationale rend d'ailleurs le port de la cocarde obligatoire le 21 septembre 1793 sous peine de prison. Le 6 octobre 1793, les femmes de la Société des républicaines révolutionnaires sont accusées d'antipatriotisme.

Ainsi, malgré leur engagement actif, les femmes sont relativement marginalisées dans les cercles politiques révolutionnaires et leurs revendications reléguées au second plan par les dirigeants masculins. Les idéaux révolutionnaires d'égalité et de liberté ne sont toujours pas étendus aux femmes, et de nombreuses réformes sociales attendues, telles que le droit de vote féminin, sont reportées voire ignorées.

Femmes Révolutionnaires : des barricades à la scène publique et politique

Lors des journées révolutionnaires, les femmes ont souvent été en première ligne, participant aux émeutes et aux manifestations pour combattre aux côtés des hommes contre les forces gouvernementales. Leur présence sur les barricades lors de la prise de la Bastille en 1789 et lors des journées d'octobre 1789 a été largement documentée par les historiens, sans compter leur mobilisation massive durant les évènements de 1830 et 1848. Concrètement, les femmes françaises ont non seulement apporté un soutien logistique crucial en fournissant des vivres, des munitions et des soins aux combattants, mais elles ont également pris les armes.

Portrait de Théroigne de Méricourtdessiné par Jean Fouquet et gravé par Gilles-Louis Chrétien

Portrait de Théroigne de Méricourt en amazone gravé par par Denis Auguste Marie Raffet. | © Domaine public

Anne-Josèphe Théroigne de Méricourt (1762-1817) est devenue une figure emblématique grâce à sa bravoure et à sa détermination démontrées sur les barricades pendant la Révolution française. Elle s'est activement engagée dans les émeutes de Paris et de Versailles. Bien que gravement blessée lors des journées révolutionnaires de 1789, cela n'a pas entamé son courage ni son militantisme pour les droits des femmes et des travailleurs. Le 25 mars 1792, Théroigne de Méricourt prononce un discours à la Société fraternelle des minimes dans lequel elle réclame l'égalité politique pour les femmes :

« Citoyennes, nous pouvons, par un généreux dévouement, rompre le fil de ces intrigues. Armons-nous ; nous en avons le droit par la nature, et même par la loi ; Montrons aux hommes que nous ne leur sommes inférieures ni en vertus, ni en courage [...] il est temps enfin que les femmes fortes de leur honteuse nullité, où l'ignorance, l'orgueil et l'injustice des hommes les tiennent asservies depuis longtemps [...] Citoyennes, pourquoi n’entrerions-nous pas en concurrence avec les hommes […] ouvrons une liste d'Amazones Françaises, que toutes celles qui aiment véritablement leur patrie viennent s'y inscrire. »
Source : Discours prononcé à la Société fraternelle des minimes, le 25 mars 1792, l'an quatrième de la liberté, par Mlle Théroigne, en présentant un drapeau aux citoyennes du faubourg S. Antoine URL 

Une telle revendication de créer des « bataillons d'amazones françaises » pour défendre la patrie assiégée est totalement inaudible au sein de l'Assemblée et des autres clubs révolutionnaires à dominante masculine. Aussi, à défaut de pouvoir remplir les rangs des armées républicaines, Théroigne participe, comme de nombreuses autres femmes, à la prise du palais des Tuileries et à la chute du roi dans la nuit du 9 au 10 août 1792.

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Gravure représentant les femmes marchant sur Versailles, le 5 octobre 1789. | © Bibliothèque nationale de France

Malgré les obstacles et les préjugés de genre, certaines femmes ont réussi à s'imposer sur la scène publique et politique de la Révolution française. Des figures telles que Théroigne de Méricourt et Pauline Léon ont été des porte-parole influentes pour les droits des femmes, plaidant pour leur participation à la vie politique et pour l'égalité des sexes devant la loi. Et, au-delà de l'aspect symbolique, le concours des femmes aux soulèvements populaires a considérablement élargi la portée de la révolution et remis en question les normes sociales de l'époque. Leur courage et leur détermination sur les barricades ont été des éléments cruciaux de la lutte pour la liberté et l'égalité pendant la Révolution française, inspirant même leurs camarades masculins.

Malheureusement, en dépit de l'engagement actif des femmes dans les clubs politiques, les sociétés et les combats insurrectionnels, leur influence n'a pas suffi à contrecarrer le vote de l'Assemblée du 30 octobre 1793. Ce vote a conduit à la dissolution de tous les clubs et sociétés populaires de femmes, ainsi qu'à l'interdiction des réunions féminines.

En conclusion, les femmes ont joué un rôle vital et bien trop méconnu dans la Révolution française. Il apparait donc primordial d'accorder une juste reconnaissance à leur contribution, non seulement pour rendre hommage à leur héritage, mais aussi pour nous inciter à réévaluer notre perception socio-historique de la Révolution française. Honorer la mémoire des femmes révolutionnaires, c'est enrichir notre compréhension collective du passé et participer à construire un avenir plus égalitaire et inclusif pour les générations à venir.

Références bibliographiques :

  • Paule-Marie Duhet, Les Femmes et la Révolution, Gallimard, 1973 [Première parution 1971].
  • Dominique Godineau, Citoyennes tricoteuses: Les femmes du peuple à Paris pendant la Révolution française, Alinea, 1988.
  • Joan B. Landes, Women and the Public Sphere in the Age of the French Revolution, Cornell University Press, 1988.
  • Suzanne Desan, The Family on Trial in Revolutionary France, Berkeley, University of California Press, 2004.
  • Lynn Hunt, Politics, Culture, and Class in the French Revolution: With a New Preface, 20th Anniversary Edition, University of California Press, 2004.
  • Jean-Clément Martin, La révolte brisée. Femmes dans la Révolution française et l’Empire, Armand Colin, 2008.
  • Joan W. Scott, La Religion de la laïcité, Climats - Essais, 2018.
  • Christine Le Bozec, Les Femmes et la Révolution: 1770-1830, Passés Composés, 2019.
  • Olivier Blanc, Olympe de Gouges: De la déclaration des droits de la femme et de la citoyenne à la guillotine, Tallandier, 2022.
  • Maria Goupil-Travert, Braves combattantes, humbles héroïnes: trajectoires et mémoires des engagées volontaires de la Révolution et de l'Empire, coll. Mnémosyne, Presses universitaires de Rennes, 2021.