Le concept de proxémie ou l’importance de la distance physique lors des interactions sociales. © Jopwell

Le concept de proxémie ou l’importance de la distance physique lors des interactions sociales

 

La proxémie (ou approche proxémique) est une approche du rapport à l'espace matériel introduite par l'anthropologue américain Edward T. Hall. Autrement dit, il s’agit d’une discipline dont l’étude se focalise principalement sur la distance physique entre les personnes en situation de communication orale et/ou visuelle.

Un concept théorisé par l’anthropologue Edward T. Hall

L’anthropologue américain Edward T. Hall (16 mai 1914 – 20 juillet 2009) débute ses recherches en 1933 auprès des tribus Navajo et des Hopi dans les réserves amérindiennes du nord-est de l’Arizona. Après l’obtention de son doctorat à l’université Columbia en 1942, Hall poursuit ses enquêtes de terrain en Europe, au Moyen-Orient et en Asie.

Au cours des années 1950, Hall travaille pour le Département d'État des États-Unis, au Foreign Service Institute (FSI), enseignant les techniques de communication interculturelle, développant notamment le concept de « culture contextuelle » (high-context and low-context cultures). Il est à ce titre considéré comme le père fondateur de la communication interculturelle en tant que domaine d'étude académique. Dans son premier livre, The Silent Language (1959), Hall invente le terme « polychronique » afin de décrire la capacité d'assister à plusieurs événements simultanément, par opposition aux individus et aux cultures « monochroniques » qui ont tendance à gérer les événements de manière séquentielle.

Edward T. Hall en 1966.

Edward T. Hall en 1966. | © Norris McNamara/Nancy Palmer Agency.

Tout au long de sa carrière d’universitaire, Hall introduit un certain nombre de nouveaux concepts. Cependant, le plus connu est incontestablement celui de « proxémie », défini en 1963 comme « les observations et théories interdépendantes de l'utilisation humaine de l'espace comme élaboration spécialisée de la culture ». Le chercheur décrit plus en détails le concept de proxémie au sein de son deuxième ouvrage intitulé The Hidden Dimension, publié en 1966 noteEdward T. Hall, La Dimension cachée, Éd. Seuil, Paris, 1971. Publication originale: The Hidden Dimension, Ed. Doubleday, New York, 1966.. Hall y décrit entre autres la distance physique à laquelle les individus se tiennent les uns des autres selon des règles culturelles subtiles.

Les sphères proxémiques chez les êtres humains

La « sphère » (ou dimension subjective) entourant une personne forme un espace. Pour les êtres humains, Hall nomme « espace personnel » l'espace dédié à la distance intime et personnelle, tandis que l'espace hors de la distance personnelle est appelé « espace social ». Enfin l'espace plus large encore, à l’échelle sociétale pourrait-on dire, est appelé « espace public ».

De ce fait, l'espace personnel désigne la sphère qu’un individu considère comme étant psychologiquement le sien. Hall remarque que la plupart des gens apprécient leur espace personnel mais ressentent aussitôt de l’inconfort, de la colère ou de l’anxiété lorsque cet espace est empiété sans leur consentement. Aussi, permettre à une tierce personne d'entrer dans son espace personnel témoigne objectivement d’une certaine relation « privilégiée » entre les acteurs, soit des indicateurs scientifiquement interprétables pour les interactions sociales.

Ainsi, Edward T. Hall détermine l'existence de quatre distances principales chez l'humain, le passage de l'une à l'autre étant marqué par des modifications sensorielles : l'intime, la personnelle, la sociale et la publique. Chacune des distances comporte deux modes, le proche et le lointain. Concrètement, Hall considère que la zone intime demeure réservée aux relations amicales proches, aux relations amoureuses, ainsi qu’aux relations familiales (enfants et membres de la famille proche). La zone personnelle est utilisée pour les conversations avec des amis, des collègues de travail ou des discussions de groupe. La zone sociale est appliquée pour les étrangers, les groupes nouvellement formés et les nouvelles connaissances. Enfin, la zone publique est employée pour les discours ou les conférences par exemple.

Diagramme des sphères proxémiques selon Edward T. Hall.

Diagramme des sphères proxémiques selon Edward T. Hall. | © Wikimedia Commons.

L'étude proxémique conduite par Edward T. Hall auprès des sujets de la classe moyenne de la côte nord-est du continent américain lui permet de mesurer les distances physiques correspondant à ces distances dites « proxémiques » :

  • distance intime : moins de 40 cm (mode proche : moins de 15 cm / mode éloigné : 15 à 40 cm) ;
  • distance personnelle : de 45 à 125 cm (mode proche : 45 à 75 cm / mode éloigné : 75 à 125 cm) ;
  • distance sociale : de 120 à 360 cm (mode proche : 120 à 210 cm / mode éloigné : 210 à 360 cm) ;
  • distance publique : plus de 360 cm (mode proche : 360 à 750 cm / mode éloigné : plus de 750 cm).

Il convient de préciser que ces distances proxémiques sont différentes selon les individus mais aussi selon les cultures, à l'instar de leur approche de l'espace. En effet, Hall ne voulait surtout pas que ces mesures soient interprétées comme des lignes directrices « strictes » définissant arbitraitement les interactions sociales, mais plutôt un système permettant d’appréhender l'effet de la distance sur la communication et d’observer les variations de cette distance selon les cultures et les facteurs sociétaux noteCette notion est par la suite reprise par l'universitaire français Abraham Moles pour qui l'homme est constitué de coquilles formées de zones concentriques comme les couches d'un oignon..

L’espace des différentes sphères relatives au concept de proxémie peut être affecté par la position sociale d'une personne. Par exemple, les individus issus des catégories socio-professionnelles supérieures/aisés s'attendent à avoir un espace personnel plus grand. L’âge et le sexe sont également des facteurs qui influencent la taille de l'espace personnel. Hall observe que les hommes utilisent généralement plus d’espace personnel que les femmes.

La proxémie, un concept à l’intérêt scientifique pluridisciplinaire

La proxémie est non seulement utile pour évaluer la façon dont les gens interagissent entre eux dans la vie quotidienne, mais elle peut également servir à d’autres disciplines scientifiques : la communication non verbales (ou langage du corps), la kinésique noteScience des gestes quotidiens et se concentre sur l'étude des gestes des mains, des pieds et de la tête., l’architecture, la psychologie, la sociologie et même le cinéma !

L’objectif initial du travail de Hall sur la proxémie était d'éclairer la pratique de l'architecture et de l'urbanisme afin d’améliorer le bien-être des individus et d'éviter les dérives comportementales. Hall souligne en particulier la nécessité pour une personne à disposer de suffisamment d’espace personnel pour préserver/protéger son confort psychique. Au regard de ces remarques, il apparait évident que dans certaines circonstances, notamment dans les transports en commun ou les ascenseurs, les exigences minimales en matière d’espace personnel ne peuvent être satisfaites, d’où un risque accru de mal-être pour les usagers.

Edward T. Hall en 1966.

Dans certaines circonstances, notamment dans les transports en commun, les exigences minimales en matière d’espace personnel ne peuvent être satisfaites, d’où un risque accru de mal-être pour les usagers. | © Rishiraj Parmar.

La proxémie est un apport scientifique important pour de nombreuses recherches dans les domaines de la communication, de la psychologie et de la sociologie. En sociologie du travail, l’interaction duelle (ou en face-à-face) est souvent employée comme outil d’autorité pour les supérieurs hiérarchiques, évitant ainsi une éventuelle structuration/cohésion de la contestation par des groupes d’employés. Des recherches en psychologie décrivent la manière dont la proximité est affectée par l'utilisation des nouvelles technologies de communication. Pour le septième art, aussi étonnant que cela puisse paraître, la proxémie est un élément essentiel de la mise en scène cinématographique. Le réalisateur doit prendre soin de bien positionner les personnages, les accessoires et les décors dans le cadre, afin de faire ressentir au public les impacts visuels et émotionnels désirés.

La proxémie reste l’un des codes non verbaux les plus déterminants pour qui désire analyser les interactions humaines, indiquant notre rapport social et affectif à l’autre : la distance proxémique peut autant être un signe révélateur d’affection et/ou d’intimité qu’une manifestation d’hostilité.

Références bibliographiques :

  • Edward T. Hall, "A System for the Notation of Proxemic Behavior", American Anthropologist, vol. 65, no. 5, 1963, pp. 1003–26. JSTOR. URL 
  • Michael Argyle and J. Dean, "Eye-Contact, Distance and Affiliation." Sociometry, vol. 28, 1965, pp. 289-304.
  • Edward T. Hall, The Hidden Dimension, Doubleday & Company, Inc., 1966.
  • Robert Sommer, Personal Space: The Behavioral Basis of Design, Prentice-Hall, 1969.
  • Leslie A. Hayduk. "Personal Space: Where We Now Stand." Psychological Bulletin, vol. 94, no. 2, 1983, pp. 293-335.
  • John R. Aiello, "Human Spatial Behavior", Handbook of Environmental Psychology, Daniel Stokols and Irwin Altman (Eds.), John Wiley & Sons, 1987, pp. 359-504.
  • Michael Argyle, Bodily Communication, Routledge, 1988.
  • W. B. Gudykunst and S. Ting-Toomey, Culture and Interpersonal Communication, SAGE Publications, 1988.