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Ganvié, la Venise de l'Afrique : un chef-d'oeuvre lacustre

 

Située au Bénin, en Afrique de l'Ouest, Ganvié est souvent surnommée la « Venise de l'Afrique » en raison de sa structure unique construite sur des pilotis au-dessus du lac Nokoué. Ce village lacustre, fondé il y a plusieurs siècles par la communauté Tofinu, est devenu une attraction touristique majeure, offrant un aperçu fascinant de la vie lacustre africaine.

Origine et histoire de Ganvié

Ganvié trouve ses racines dans les premiers habitants de la région, les Tofinus (ou Toffinous), originaires du Togo (les Adjakedos) et du Tado, au sud du Bénin. Suite à des guerres tribales, ces populations fuyaient alors les conflits et la menace de l'esclavage avant d'édifier cette cité lacustre aux alentours des XVIe et XVIIe siècles de l'ère chrétienne.

Selon la tradition orale et la mythologie locale, la légende raconte qu'en 1717, le roi Agbogdobé, puissant en Vaudoun (vaudou), se métamorphosa en épervier, survola la lagune et découvrit l'île de Ganvié, située sur le lac Nokoué. Ses accompagnateurs restés sur la rive ne pouvant pas passer, il fit alors une autre magie qui le transforma en crocodile, transportant ainsi ses collaborateurs sur son dos. Depuis, le crocodile est sacré à Ganvié, qui signifie littéralement en fon, une langue du sud du Bénin, « la collectivité sauvée ».

Les rescapés des razzias liées à la traite négrière ont choisi ce lieu en raison de son accès difficile par voie terrestre

Les rescapés des razzias liées à la traite négrière ont choisi ce lieu en raison de son accès difficile par voie terrestre. | © Manu25.

C'est donc sur cette île que le peuple Tofinu fonde ce village constitué de maisons sur pilotis. Les rescapés des razzias liées à la traite négrière ont choisi ce lieu en raison de son accès difficile par voie terrestre. Cette situation géographique les protégeait effectivement des attaques des Dahoméens qui capturaient les personnes de la région pour les vendre aux esclavagistes européens, notamment les Portugais.

Faisant des eaux peu profondes et des îles du lac Nokoué un refuge tout en bénéficiant de la pêche abondante, les villageois de Ganvié sont souvent appelés Tofinus, les « hommes de l'eau ». Tout au long du XVIIIe siècle, cette cité d’apparence fragile sert ainsi de refuge aux personnes fuyant la traite négrière. Au fil du temps, Ganvié est devenu un village florissant, avec une population estimée à plus de 30 000 habitants aujourd'hui.

Architecture et mode de vie des habitants de Ganvié

Ce qui rend Ganvié unique, c'est son architecture lacustre. Les maisons, les écoles et même les églises sont construites sur des pilotis en bois de palmier, reliés entre eux par un réseau de ponts en bois. Mais attention, les bois utilisés pour la construction sont soigneusement étudiés afin de résister aux intempéries de l'eau et aux aléas climatiques pendant des décennies, assurant la pérennité du chef-d’oeuvre. Les maisons sur pilotis sont couvertes de chaume local. Leur architecture varie, avec des toits rectangulaires ou en forme conique.

Un marché sur pirogues à Ganvié

Un marché sur pirogues à Ganvié. | © Christoph Wolf

Au quotidien, les habitants se déplacent en pirogue, utilisant le lac comme principale voie de circulation. Le marché flottant, composé de nombreuses pirogues, expose les différentes marchandises locales : poissons, condiments pour la sauce, pain, lait, entre autres. La Venise d'Afrique est animée, disposant de lieux comme des centres sociocommunautaires et de santé où les villageois peuvent se réunir et discuter des sujets locaux importants (pêche, agriculture, entretien des espaces publics).

À l'origine, les habitants de Ganvié vivaient principalement de l'agriculture. Désormais, les principales activités économiques du village, autres que le tourisme, sont la pêche et la pisciculture. En effet, les eaux du lac étant préservées de la pollution industrielle, les poissons (plusieurs milliers de tonnes par an) peuvent être consommés sans risques pour la santé.

À Ganvié, la pêche est pratiquée dans les acadjas, une technique traditionnelle d'aquaculture

À Ganvié, la pêche est pratiquée dans les acadjas, une technique traditionnelle d'aquaculture. | © jbdodane

Ici, la pêche est pratiquée dans les acadjas, une technique traditionnelle d'aquaculture mise au point à la fin du XIXe siècle par un pêcheur nommé Winsou, originaire de Sô-Tchanhoué, un village semi-lacustre situé sur la rive septentrionale du lac Nokoué, non loin de Ganvié. Concrètement, les acadjas sont des pâturages aquatiques clôturés à l'aide de branches d'arbres et d'arbustes, coupées et enfouies à une profondeur d'un à deux mètres environ, offrant ainsi un habitat artificiel, propice au développement de certaines espèces de poissons. Bien évidemment, le seul moyen de transport des marchandises vers et depuis la cité lacustre est le bateau en bois.

Concilier activités humaines et préservation de la nature, un équilibre fragile

La population des deux principaux centres lacustres du Bénin, Ganvié et Sô-Tchanhoué, ne cesse de croître. Aussi, les maisons sur pilotis s'avancent de plus en plus profondément à l'intérieur du lac Nokoué. En plus de réduire l'espace disponible pour la pêche et la pisciculture, cela engendre des problèmes en termes de besoins essentiels, notamment l'eau potable et l'électricité.

À Ganvié, l'alimentation en eau potable n'est assurée que par deux bornes fontaines auprès desquelles les habitants s'y rendent en pirogue pour remplir leurs bidons d'eau. Le lac communiquant avec la mer, l'eau est saumâtre et donc non potable, et ce, bien que le niveau de salinité varie en fonction des saisons. De plus, les eaux usées des habitations et les excréments du bétail sont directement déversés dans le lac, d'où le risque de maladies. Fort heureusement, la faible profondeur du lac (environ 2 mètres), combinée à l'important ensoleillement, assure une certaine désinfection grâce aux rayons ultraviolets.

La croissance incontrôlée de la jacinthe d'eau menace désormais l'équilibre écologique du lac

La croissance incontrôlée de la jacinthe d'eau menace désormais l'équilibre écologique du lac. | © Manu25.

En outre, la nécessité de purifier l'eau a conduit à l'introduction de la jacinthe d'eau, une plante originaire d'Amérique latine qui a été importée au XIXe siècle. Cependant, la croissance incontrôlée de cette plante menace désormais l'équilibre écologique du lac en privant l'eau de son oxygène. La présence envahissante de la jacinthe d'eau crée une compétition avec les poissons pour les ressources, aggravant ainsi la menace sur la population piscicole déjà confrontée au comblement du lac, à sa pollution et à la surpêche. De plus, les habitants doivent faire face à l'obstacle que représentent les jacinthes d'eau pour la navigation des pirogues, leur seul moyen de transport sur le lac.

Un autre problème pour les populations locales réside dans l'absence d'alimentation électrique. Si les ménages les plus aisés ont pu investir dans l'achat de petits groupes électrogènes, cela engendre un risque de pollution du fait de la manipulation de carburants. C'est la raison pour laquelle les autorités locales encouragent de plus en plus les habitants à installer des panneaux photovoltaïques pour limiter au maximum les impacts négatifs pour le biotope lacustre.

Tourisme, développement et perspectives d'avenir de la « Venise de l'Afrique »

Ajouté à la liste indicative du patrimoine mondial de l'UNESCO le 31 octobre 1996, Ganvié est devenue au fil des ans la destination touristique la plus prisée de la sous-région ouest africaine, attirant chaque année des milliers de visiteurs du monde entier pour découvrir son mode de vie unique et sa culture vibrante. Les habitants ont su tirer profit du tourisme en proposant des visites guidées en pirogue, des démonstrations de pêche traditionnelle et la vente d'artisanat local. La « Venise de l'Afrique » dispose de bars, de restaurants et d'auberges pour permettre aux touristes de se reposer avant de reprendre le chemin du retour. Au milieu du village lacustre, est aménagée la place royale où est érigée la statue du premier roi de Ganvié, le Roi Agbogboé, fondateur du village.

Embarcadère de Calavi pour Ganvié.

Embarcadère de Calavi pour Ganvié. | © Iwaria

Le village lacustre de Ganvié, similaire à Venise en Italie, voit sa vie socio-économique étroitement liée au biotope lagunaire, bien que celui-ci se dégrade. Malgré la préservation des traditions anciennes, le modernisme technologique s'intègre progressivement, entraînant des changements sociologiques importants. En effet, l'essor du tourisme a engendré des défis en matière de préservation de la culture locale et de préservation de l'écosystème lacustre fragile, notamment en raison des impacts du changement climatique mondial.

Les communautés sont ainsi de plus en plus exposées aux inondations pendant la saison des pluies, ce qui entraîne parfois une élévation du niveau de l'eau au niveau des habitations sur pilotis. Dans de telles situations, le bétail doit être évacué des îlots et cohabite avec les habitants. De plus, les tempêtes peuvent causer des dommages importants, détruisant parfois des centaines de maisons. Autrefois, les grands filets utilisés pour la pêche fournissaient suffisamment de poissons pour subvenir aux besoins alimentaires des familles de Ganvié pendant plusieurs mois, mais avec la croissance démographique, cette ressource n'est plus aussi abondante.

Ganvié reste un exemple fascinant de la résilience humaine et de l'adaptation à un environnement unique

Ganvié reste un exemple fascinant de la résilience humaine et de l'adaptation à un environnement unique. | © jbdodane

Pourtant, malgré ces défis, Ganvié reste un exemple fascinant de la résilience humaine et de l'adaptation à un environnement unique. Les habitants continuent de préserver leurs traditions ancestrales tout en s'adaptant aux changements modernes. Avec une gestion durable du tourisme et un soutien accru au développement local, Ganvié a le potentiel de prospérer tout en préservant son caractère distinctif de « Venise de l'Afrique ».

Sources :

  • Paul Pélissier, Les pays du Bas-Ouémé. Une région témoin du Dahomey méridional, Faculté des lettres et sciences humaines de Dakar, 1963.
  • Georges Édouard Bourgoignie, Les hommes de l'eau : ethno-écologie du Dahomey lacustre, Éditions universitaires, Paris, 1972
  • Georges Édouard Bourgoignie, « Ethno-écologie d’une collectivité régionale : les cités lacustres du Dahomey », Revue canadienne d’études africaines, vol. 6, no 3, 1972.
  • Spedini, Gabriella, et al., « Fréquences de polymorphisme sanguin chez les Tofinu, les 'Hommes de l'Eau' du Sud Bénin », Anthropologischer Anzeiger, vol. 38, no. 2, juin 1980
  • Pierre Pétrequin et Anne-Marie Pétrequin, Habitat lacustre du Bénin : une approche ethnoarchéologique, FeniXX, 1983.
  • Jeanne-Marie Principaud, « La pêche en milieu lagunaire dans le sud-est du Bénin. L'exemple de l'exploitation des acadjas (en danger) sur le lac Nokoué et la basse Sô », in Cahiers d'Outre-Mer, no 192, 48e année, octobre-décembre 1995.
  • Rapport de mission, Mission de conseil ICOMOS, Bénin, 29–31 octobre 2018.