La Tour Burana avec le massif de montagnes de l'Alataou Kirghize en arrière-plan. | © Roman Hramovnick

Ces incroyables minarets des débuts de l'ère islamique

 

Les minarets sont des édifices islamiques incontournables. Leur conception a évolué au fil du temps en une multitude de styles artistiques, autant influencés par les matériaux disponibles localement que par les différentes cultures et affiliations religieuses du vaste monde musulman.

Rares sont les minarets construits avant le Xe de l'ère chrétienne qui ont été préservés

Riche en histoire, l'architecture islamique s'étend de l'Afrique occidentale (Maghreb et Afrique de l'Ouest) en passant par l'Europe, le Moyen Orient jusqu'à l'Asie du sud-est. Dès ses débuts, l'art islamique est influencé par les connaissances issues des architectures romaine, byzantine, perse voire mésopotamienne. Les premières conquêtes musulmanes des VIIe et VIIIe siècles élargissent par la suite le spectre artistique islamique, les constructeurs s'adaptant peu à peu aux techniques et aux matériaux locaux. En outre, à mesure que l'islam se répand en Asie centrale, en Asie du Sud (sous-continent indien) et en Asie du Sud-Est, les constructions musulmanes s'inspirent des architectures indienne et chinoise.

Les progrès des ingénieurs musulmans en termes de génie civil permettent ensuite la conception de nouveaux types d'édifices comme les minarets, les muqarnas noteMotifs ornementaux en forme de nids d'abeilles, réalisés avec différents matériaux (stuc peint, bois, pierre ou brique), qui garnissant les voûtes et les intérieurs des coupoles. et les arcs polylobés noteL'arc polylobé, composé d'un nombre impair de petits arcs en plein cintre, est une innovation de l'architecture omeyyade apparue au VIIe siècle.. Et, si les minarets demeurent des édifices incontournables au sein du monde islamique, leur conception a évolué en une multitude de styles artistiques, influencés par les différentes cultures, dynasties et affiliations religieuses. D'où l'importance de préserver les minarets anciens, preuves vivantes de la variété culturelle du monde musulman. Malheureusement, nombre d'entre eux sont menacés de disparition en raison de l'absence d'entretien et/ou de restauration, de catastrophes climatiques (séismes, tempêtes, inondations...) ou de destructions liées aux conflits militaires. Spherama.com vous propose une petite sélection des minarets anciens les plus surprenants, souvent classés au patrimoine mondial de l'humanité.

Minaret de Kairouan, le plus vieux minaret du monde

Le général Oqba Ibn Nafi fonde la ville de Kairouan en l'an 670 de l'ère chrétienne et choisit l'emplacement de la future Grande Mosquée, située au centre de la cité et à proximité du siège du gouverneur. Face à l'augmentation de la population de Kairouan, et donc du nombre de fidèles, le dixième calife omeyyade Hichām (ʾAbū Al-Walīd Hichām ibn ʿAbd Al-Malikla) décide d'effectuer par l'intermédiaire du gouverneur local Bichr Ibn Safwan de nombreux travaux d'aménagement, dont l'agrandissement de la mosquée. Ainsi, au cours de la période 724-728, la mosquée est entièrement reconstruite avec l'édification d'un minaret, construit en l'an 836 de l'ère chrétienne, soit le plus ancien encore conservé à ce jour (voir le classement des minarets les plus vieux du monde).

La cour de la Grande Mosquée de Kairouan vue sous son angle sud-ouest.

La cour de la Grande Mosquée de Kairouan vue sous son angle sud-ouest. | © Andrew Watson

En raison de son ancienneté et de sa beauté, le minaret de la Grande Mosquée de Kairouan a par la suite influencé les constructions ultérieures du monde islamique occidental, servant de modèle de référence aux architectes du Maghreb et de l'Andalousie. De nos jours, le minaret de la Grande Mosquée de Kairouan est considéré comme un véritable chef-d'oeuvre de l'architecture musulmane traditionnelle. Tout au long de son existence, la mosquée est entretenue par plusieurs opérations de conservation, d'extension et de restauration.

Le minaret en spirale de la Grande Mosquée de Samarra

Achevée en 851 par le calife abbasside Al-Mutawakkil, la Grande Mosquée de Samarra (Irak) a été pendant plusieurs siècles la plus grande mosquée du monde. Pour réaliser cet ouvrage colossal, Al-Mutawakkil (assassiné en 861) fait appel à des artistes et des architectes de tout l'empire abbasside et importe massivement des colonnes de marbre. Les travaux durent de 849 à 851, faisant sortir de terre une mosquée et un minaret imposant, nommé localement la « tour Malwiya » (voir le classement des minarets les plus hauts du monde). Le complexe traverse une période agitée, notamment une guerre civile (865-866). Mais durant l'invasion de la région par Houlagou Khan, petit-fils de Gengis Khan, la mosquée est détruite et seuls le mur extérieur et son minaret sont épargnés.

Le minaret en spirale de Samarra, en Irak

Le minaret en spirale de Samarra, en Irak. | © Safa Daneshvar

Le minaret et la Grande Mosquée de Samarra (Irak)

Le minaret et la Grande Mosquée de Samarra (Irak). | © Fakhri Mahmood / Wikimedia Commons

L'impressionnant minaret de Samarra (initialement relié à la mosquée par un pont) est certainement l'un des plus originaux du monde islamique. Situé à 27 mètres au nord de la mosquée, il s'agit d'un cône de 52 mètres de haut et de 33 mètres de large avec une rampe en spirale à cinq étages menant jusqu'au sommet large de 3,5 mètres. Afin de parfaire l'illusion d'optique voulant que les 5 niveaux présentent visuellement la même perspective vue du sol, la pente de la rampe a été augmentée progressivement à mesure que le diamètre de la tour se rétrécit. Le sommet présente des traces de pavillon de bois, probablement un ancien abri pour le muezzin, personne chargée de lancer l'appel à la prière du haut du minaret.

Le minaret de Kutlug Timur, le plus ancien d'Asie centrale

Construit en l'an 1011 de l'ère chrétienne sous la dynastie Khwarazmian, le minaret de Kutlug Timur, situé à Konye-Ourguentch au nord du Turkménistan, est considéré comme le plus haut des anciens minarets d'Asie centrale. La construction du minaret commence au début du XIe siècle sous le règne du Khorezm Shah Mahmun II. Après la destruction de son sommet par les Mongols en 1221, le minaret est restauré et achevé sous sa forme actuelle entre 1321 et 1336 sous le règne de Kutlug Timur. À cette époque, le minaret est partie intégrante de principale mosquée principale de la ville.

Le minaret de Kutlug Timur à Konye-Ourguentch au nord du Turkménistan.

Le minaret de Kutlug Timur à Konye-Ourguentch au nord du Turkménistan. | © John Pavelka

Le minaret de Kutlug Timur possède une hauteur de 60 mètres pour un diamètre de 12 mètres à la base et de 2 mètres au sommet. La façade est décorée de motifs en briques taillées, et deux inscriptions coufiques sont également visibles. Initialement, le sommet du minaret de Kutlug Timur supportait un dôme qui, selon certaines sources, comportait une lanterne servant à guider les caravanes commerciales. Les fidèles pouvaient également accéder en haut du minaret via une dépendance aujourd'hui disparue, puis par un escalier de 143 marches. Désormais l'entrée étant hors sol, il est impossible de gravir cet escalier intérieur. Le minaret de Kutlug Timur est inscrit au patrimoine mondial de l'UNESCO depuis 2005.

La Tour Burana, au nord du Kirghizistan

Située à 12 km au sud-est de la ville de Tokmok, la tour Burana est un minaret relativement isolé de la vallée du fleuve Tchou, à mi-chemin entre Bichkek – la capitale du Kirghizistan – à l'ouest et le lac Yssyk Koul à l'est. Ce minaret, les stèles funéraires, les vestiges d'un château et les trois mausolées environnants sont les dernières traces de l'ancienne ville de Balasagun, fondée par les Sogdiens à la fin du IXe siècle. La ville devient ensuite la capitale de la dynastie des Qarakhanides du Xe siècle jusqu'à sa prise par les Kara-Khitans en 1134. La tour est quant à elle construite au cours du XIe siècle. Il s'agit d'une des constructions architecturales les plus anciennes d'Asie centrale.

La Tour Burana, au nord du Kirghizistan.

La Tour Burana, au nord du Kirghizistan. | © Firespeaker

Mesurant 45 mètres de haut à l'origine, la tour Burana a subi d'importants dommages structurels à cause des tremblements de terre qui ont secoué la vallée à l'époque médiévale. Mais c'est un séisme particulièrement puissant, survenu au XVe siècle, qui détruit la moitié supérieure de la tour, réduisant sa hauteur totale à 25 mètres. Après être plus ou moins tombée dans l'oubli, la tour Burana suscite à nouveau l'intérêt des archéologues qui effectuent plusieurs fouilles durant les années 1960. Un projet de restauration est réalisé dans les années 1970 afin de renforcer les fondations et réparer le côté ouest de la tour, menaçant alors de s'effondrer. Depuis l'indépendance du Kirghizistan en 1991, le site de la tour Burana, fonctionnant comme un musée à ciel ouvert, est devenu l'un des endroits les plus visités du pays. À ce propos, un escalier extérieur moderne et l'escalier d'origine en colimaçon situé à l'intérieur de la tour permettent aux visiteurs de monter jusqu'au sommet.

Le minaret Kalon, symbole de la ville de Boukhara

Le minaret Kalon, bâti en 1127 sur l'ordre du khan Mohammad Arslan de la dynastie des Karakhanides, est incontestablement l'un des monuments les plus remarquables de la civilisation islamique. Le minaret Kalon se dresse à l'emplacement d'une ancienne construction bouddhiste ou zoroastrienne du nom de Kalyan, signifiant « bien-être ». Les travaux de construction sont alors confiés à un architecte nommé Bako, aujourd'hui enterré à 45 mètres du minaret. Une fois réalisé, cet ouvrage monumental remplit plusieurs fonctions : appeler à la prière, servir de phare pour les caravanes grâce à un feu allumé à son sommet chaque nuit, et même jeter dans le vide les condamnés à mort durant le XVIIe siècle. Le minaret Kalon sert aussi de tour de guet en temps de guerre et de promontoire pour les fonctionnaires afin lire les décrets des dirigeants à la population locale.

Le minaret Kalon avec à sa droite la Grande mosquée de Boukhara, en Ouzbékistan.

Le minaret Kalon avec à sa droite la Grande mosquée de Boukhara, en Ouzbékistan. | © Jean-Pierre Dalbéra

De forme conique, le minaret Kalon mesure 45,6 mètres de haut (48 mètres en incluant la pointe), 9,7 mètres de diamètre à la base et 6 mètres de diamètre au sommet. Afin d'assurer la stabilité de l'édifice, les fondations du minaret, également constituées de briques, atteignent 13 mètres de profondeur. Le mur est agrémenté de motifs géométriques ainsi que de versets coraniques en calligraphie kufi. À l'intérieur, un escalier en colimaçon mène jusqu'à la rotonde. Pour l'anecdote historique, un siècle après son inauguration, le minaret Kalon impressionna tellement Gengis Khan lors de la prise de Boukhara que le fondateur de l'Empire mongol ordonna à ses troupes d'épargner l'édifice sourceBradley Mayhew, Paul Clammer and Michael D. Kohn, Lonely Planet Central Asia, Lonely Planet Publications, 2018..

Le minaret de Djam, premier site afghan inscrit au patrimoine mondial de l'UNESCO

Érigé en 1194 par le grand sultan Ghiyas-od-din (1153-1203), l'emplacement du minaret de Djam marque probablement le site de l'ancienne ville de Firuzkoh, dont on pense qu'elle était la capitale d'été de la dynastie ghoride. Non loin de là subsiste un groupe de blocs de pierre portant des inscriptions en hébreu des XIe et XIIe siècles provenant de la colline de Kushkak. À l'est du monument, au bord de la rivière Hari-rud, se trouvent les vestiges de forteresses et de tours de la cité ghoride.

Le minaret de Djam, en Afghanistan.

Le minaret de Djam, en Afghanistan. | © Wikimedia Commons

À une altitude de 1 900 mètres au-dessus du niveau de la mer et éloigné de toute ville importante, le minaret de Djam se dresse dans une vallée escarpée, au point de confluence de la rivière Hari-rud et de la rivière Djam, à environ 215 km à l'est d'Herat. Haut de 65 mètres, il présente une base octogonale de 9 mètres de diamètre et ses quatre fûts cylindriques superposés qui s'effilent progressivement sont construits en briques cuites. Le minaret est entièrement revêtu d'un décor géométrique en relief rehaussé d'une inscription coufique en tuile turquoise.

Le minaret de la mosquée Djingareyber à Tombouctou (Mali)

Tombouctou, la « cité aux 333 saints » classée au Patrimoine de l'humanité depuis 1988, est mondialement connue pour ses trois grandes mosquées (Djingareyber, Sankoré et Sidi Yahya), mais aussi pour ses mausolées de saints musulmans et ses manuscrits anciens. La ville a longtemps été un carrefour majeur de l'islam durant les XVe et XVIe siècles. Le minaret le plus caractéristique de la « perle du désert » est indéniablement celui de la mosquée Djingareyber, construit en 1325 par le poète, diplomate et architecte Abou Ishaq es-Sahéli. Né en 1290 à Grenade, Abou Ishaq es-Sahéli, passionné par l'architecture égyptienne, rencontre l'empereur Mansa Moussa lors de son pèlerinage à La Mecque en 1324. Les deux hommes se lient d'amitié et Abou Ishaq es-Sahéli accepte d'accompagner l'empereur du Mandé pour son voyage du retour. C'est alors que l'architecte andalou a pour mission de construire la mosquée Djingareyber.

Minaret de la mosquée Djingareyber à Tombouctou, Mali.

Minaret de la mosquée Djingareyber à Tombouctou, Mali. | © Wikimedia Commons

À l'exception d'une petite partie de la façade nord et du minaret principal construits en pierre calcaire et renforcés avec de la boue, la mosquée Djingareyber est entièrement constituée d'adobe, de terre, d'argile, de fibres, de paille et de bois, sans oublier un matérieu local fait de terre cuite, le banco. Même si la sécheresse peut causer des dégâts, trop de pluie est également préjudiciable pour l'édifice. Cela nécessite un entretien annuel, assuré par la population locale qui effectue bénévolement la réfection des enduits extérieurs. Un travail titanesque compte tenu de la taille de la mosquée qui comprend trois cours pouvant accueillir 12 000 personnes, deux minarets et 25 rangées de piliers orientés est-ouest.

En conclusion, les minarets représentent non seulement des édifices emblématiques de l'architecture islamique, mais sont aussi des témoins précieux de l'histoire du monde musulman. Leur évolution à travers le temps, influencée par une multitude de styles artistiques et de traditions locales, reflète l'adaptabilité et la richesse de l'art islamique. Malheureusement, de nombreux minarets plus que centenaires sont menacés de disparition en raison de divers facteurs tels que le manque d'entretien, les catastrophes naturelles et les conflits militaires. Il est donc crucial de préserver ces joyaux architecturaux afin de protéger et de transmettre leur héritage culturel aux générations futures. En explorant les minarets anciens, nous découvrons non seulement des merveilles architecturales, mais également des symboles de la diversité du monde islamique, soulignant ainsi l'importance de la préservation et de la valorisation de ce patrimoine exceptionnel.

Références bibliographiques :

  • Robert Hillenbrand, Islamic Architecture: Form, Function, and Meaning, Columbia University Press, 1994.
  • Jonathan M. Bloom and Sheila S. Blair (eds.), The Grove Encyclopedia of Islamic Art and Architecture, Oxford University Press, 2009.
  • Jonathan M. Bloom, The Minaret, Edinburgh University Press, 2013.
  • Britannica, T. Editors of Encyclopaedia. "minaret." Encyclopedia Britannica, May 29, 2023. URL